Le lendemain matin, la maison était silencieuse. Mila se réveilla tard, nue dans ses draps, le corps encore marqué par la veille. Ses cuisses étaient douloureuses, son ventre vide, sa peau sensible au moindre courant d’air. Elle resta longtemps allongée, les yeux ouverts, à écouter les cigales qui reprenaient leur place dans l’air chaud. Elle pensait à lui…

Mila avança d’un pas. Puis deux.

Elle s’arrêta juste devant lui. Sa chemise trempée collait à son torse, à ses bras larges, à son ventre ferme. Il sentait la pluie, la terre, le vent, le mâle. Il leva une main, lentement. Hésita. Puis toucha sa joue. Mila se figea. Sa main était chaude, rêche, vivante. Il effleura son visage. Puis ses lèvres.

Mila tenta de ne pas y penser. Elle photographia les paysages, les pierres, les branches tordues d’oliviers. Mais tout lui semblait terne, vide. Elle essayait de se convaincre qu’elle n’attendait rien. Mais dès qu’elle entendait un moteur au loin, ou le cliquetis d’un outil sur du métal, son ventre se contractait. Elle courait voir mais il ne venait pas.

Gabriel se tenait là. Immobile. Terre sur les sabots. Chemise ouverte. Le même visage dur, les traits creusés par la lumière du soir. Il tenait l’enveloppe dans la main.

— Tu me prends en photo depuis longtemps ?

Toujours la même démarche. Il avançait dans la lumière comme un être à part, plus végétal qu’humain. Torse nu, salopette à moitié ouverte, peau cuivrée et poussière sur les avant-bras. Rien ne semblait le distraire de sa tâche. Il ne regardait jamais vers elle. Jamais vers la maison. Mais Mila, elle, le regardait de plus en plus…

Le lendemain matin, elle le vit pour la première fois. Depuis la fenêtre de la cuisine, en train de verser de l’eau chaude dans un bol, elle aperçut une silhouette qui avançait entre les oliviers. Grand, solide, le torse nu sous sa salopette, les bras brunis par le soleil. Il poussait une brouette pleine de bois, les pas lourds, réguliers. Il ne leva pas les yeux. Ni vers elle, ni vers la maison. Elle resta là, bol en main, à le regarder traverser son champ de vision, comme on regarde un animal sauvage qu’on n’ose pas déranger.

Je reste seule avec Léon dans la salle à manger. Le silence est soudain, presque solennel. Mes joues sont encore brûlantes, mon souffle court. Il n'y a plus de bruits de verres, plus de rires. Plus que lui. Et moi. Et cette tension insoutenable entre nous.

Il ne dit rien. Il s'approche. Recule ma chaise, doucement, comme s'il allait m'aider à me lever. Mais je sens que ce n'est pas son intention…

On quitte la table, laissant Léon et Lila seuls. Je sens que quelque chose change. Que le jeu dérape. Ou plutôt : qu'il commence vraiment.

Dans le couloir, elle ralentit devant une porte entrouverte. La mienne, celle de Talia aussi. J'entends…

Je reste debout, bras ballants, incapable de faire le moindre geste. Elle referme la porte derrière nous, puis se tourne vers moi, les yeux mi-clos. Elle commence à déboutonner lentement sa chemise. Un à un. Sans hâte. Elle me regarde. Je retiens ma respiration.;;

La table est en bois brut, sans nappe, sans artifice. Les assiettes sont presque vides, les verres à nouveau pleins. Et sous cette table nue, elle est à moi.

— Vous croyez que dans les soirées libertines ils font des dîners comme ça ? demande Talia, un sourire malicieux au coin des lèvres.

— Sûrement, mais j’espère qu’ils mettent au moins une nappe, lâche Paul en haussant les sourcils.

Puis, après une gorgée de vin :

— J’espère surtout qu’ils investissent dans du mobilier robuste. Une partouze à six, ça secoue plus qu’un dîner classique.

Je souris. Je parle. Je ris même, de temps en temps. Mais tout mon corps est ailleurs. Assise à cette table, entre deux verres, entre deux conversations, je me sens mise à nu, dans tous les sens du terme. La pièce est pleine, les amis bavardent, les assiettes circulent. Rien d’anormal en apparence.

Et pourtant, sous la table, je suis nue. Pas une culotte. Pas une barrière.

Son dos se tend sous sa chemise, son regard s’assombrit à chaque éclat de rire de Lila. Il jongle avec sa jalousie, mais il se raccroche à moi comme à une bouée. Mauvaise idée. Je suis le courant.

Elle rit doucement, moqueuse, puis se penche un peu plus près de moi. Sa main se pose sur ma cuisse, ses doigts dessinent des cercles distraits sur le tissu de mon pantalon.

— Tu sais que je suis pas un animal de vitrine, hein ? Si tu veux me regarder, faudra me toucher aussi.

Lila, elle, c’est un autre univers. Rien à voir avec Vic. Elle est douce, délicate. Avec elle, pas besoin d’entrer dans un bras de fer. Je la sens vibrer, réagir à la moindre de mes impulsions. Dans l’eau, quand j’ai serré son poignet avec force pour l’attirer contre moi, j’ai vu une lueur passer dans ses yeux. Une surprise mêlée de curiosité. Paul ne la touche pas comme ça, j’en suis certain.